Revente avec une plus-value d'un terrain acquis par une commune : quel recours pour l'ancien propriétaire ?
Une sénatrice interpelle la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur le cas d'une commune qui achète un terrain non constructible afin d'y réaliser des espaces verts. Une dizaine d'années plus tard, la commune décide de revendre ce terrain qui est devenu constructible et réalise une considérable plus-value. Elle lui demande si la commune est contrainte, au sens juridique, de verser à l'ancien propriétaire des dommages et intérêts pour violation du droit au respect de ses biens reconnu par la
Dans sa réponse, la ministre distingue deux hypothèses :
- l'achat par la commune d'un bien immobilier à une personne privée sur le marché libre, selon les règles de droit civil ;
- la préemption d'un bien offert à la vente par son propriétaire et pour lequel un acheteur a déjà proposé un prix (CGPPP, art. L. 1111-1 et L. 1112-4 et s.).
- Acquisition sur le marché libre
Lorsque la commune s'est portée acquéreur d'un bien sur le marché libre, cette vente, soumise aux règles du Code civil, n'ouvre droit à aucune indemnisation en cas d'évolution favorable de la valeur du bien. Il est indifférent à cet égard que cette évolution soit liée à une modification ultérieure des règles de construction, sauf cas de nullité de la vente pour réticence dolosive d'une commune, qui avait déjà engagé la révision de ses documents d'urbanisme en vue de rendre la parcelle achetée constructible au moment de la négociation du bien, et ce sans en avertir le vendeur (
- Acquisition par préemption
Dans cette seconde hypothèse, lorsque la commune préempte un bien, elle se substitue à l'acquéreur en proposant à son tour un prix d'achat au vendeur. À défaut d'accord amiable sur le prix, la commune peut le faire fixer par le juge judiciaire. Chacune des parties peut renoncer à la vente dans les conditions prévues à l', de sorte qu'une acquisition par voie de préemption procède nécessairement du plein accord du vendeur à céder son bien au prix négocié ou à celui fixé par le juge, par référence aux valeurs de marché alors observées pour des biens équivalents.
Cette procédure de préemption n'entraîne pas de privation de propriété au sens de l'
Si la commune décide d'utiliser ou d'aliéner un bien préempté depuis moins de cinq ans à d'autres fins que celles décidées initialement ou autorisées par la loi, elle doit en informer les anciens propriétaires et leur proposer l'acquisition de ce bien en priorité (). En outre, la loi française offre un recours en indemnisation devant le juge judiciaire aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause à titre universel, lorsqu'un bien préempté a été affecté à un autre usage que celui prévu par la décision de préemption ou par la loi avant l'écoulement d'un délai de cinq ans. Cette action aux fins de dommages et intérêts leur est ouverte, quand bien même l'ancien propriétaire se serait vu proposer la rétrocession du bien et l'aurait refusée ().
En revanche, afin de sécuriser le patrimoine acquis par la commune et lui permettre de faire évoluer ses politiques publiques, la loi ne prévoit plus de rétrocession ou d'indemnisation au bénéfice de l'ancien propriétaire au-delà de ce délai de cinq ans. Certains auteurs déduisent de décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme en matière d'expropriation, c'est-à-dire en cas de privation totale de propriété (ex : CEDH, 2 juill. 2002, Motais de Narbonne c. France, nº 48161/99. – V. R. Hostiou, Expropriation : l'exercice du droit de rétrocession in
Toutefois, comme le rappelle le ministre, le juge administratif français a répondu à cet argumentaire en considérant que l'absence d'affectation à un usage d'intérêt général d'un bien acquis par voie de préemption, ne constituait pas une charge disproportionnée de nature à caractériser une méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel précité, dès lors que la vente avait bien été conclue moyennant un prix raisonnablement en rapport avec la valeur du bien mais également avec les offres sérieuses formulées par les acquéreurs évincés (
Le ministre en conclut que le droit français de la préemption ouvre des voies de rétrocession et d'indemnisation au bénéfice de l'ancien propriétaire du bien préempté dans des conditions qui ne lui permettent toutefois pas de faire obstacle, dans la durée, à la libre jouissance du bien acquis par la commune.