Plus-values sur titres : la CEDH valide la différence de traitement fiscal entre opérations nationales et européennes
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la différence de traitement fiscal des plus-values sur titres en France, qui refuse l'abattement pour durée de détention aux opérations purement internes ou extracommunautaires, ne constitue pas une discrimination. Bien que des opérations similaires bénéficient d'un régime plus favorable sous l'égide du droit de l'Union européenne, la Cour a estimé que l'État français n'a pas excédé sa marge d'appréciation, justifiant cette distinction par la nécessité de se conformer aux exigences du droit de l'Union.
Griefs. - Les requérants sont trois ressortissants français qui dénoncent le caractère discriminatoire des modalités de calcul de l'assiette de leur impôt sur le revenu, en s'estimant moins bien traités que les contribuables ayant procédé à une opération d'échange de titres régie par le droit de l'Union européenne.
Plus particulièrement, les deux premiers requérants se plaignent de n'avoir pas pu bénéficier de l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150‑0 D du CGI lors de la taxation de leurs plus-values d'échange et d'apport de titres, celles-ci ayant été réalisées avant le 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition. Se référant à l'arrêt rendu par la CJUE le 18 septembre 2019 dans les affaires C‑662/18 et C‑672/18, ils font valoir que cet abattement leur aurait été appliqué si leurs opérations d'échange ou d'apport avaient relevé du champ d'application de la
Le troisième requérant se plaint, quant à lui, de n'avoir pas pu bénéficier de cet abattement lors de la taxation de sa plus-value de cession de titres. S'appuyant sur le même arrêt de la CJUE, il fait valoir qu'il aurait bénéficié de cet abattement si son opération d'apport avait relevé du champ d'application de la
Les trois requérants soutiennent que leur situation est comparable à celle de contribuables ayant réalisé une opération d'échange de titres transfrontalière au sein du marché intérieur européen. Ils se plaignent d'une discrimination directe fondée sur la localisation des titres échangés lors des opérations de restructuration. Le troisième requérant y lit une discrimination fondée sur « l'origine nationale des titres ». Ils font valoir que cette différence de traitement ne poursuivait pas de but légitime. Ils contestent en particulier qu'elle procéderait de l'intention du législateur national. À cet égard, ils critiquent l'appréciation du Conseil constitutionnel, qui y a vu, dans sa
Appréciation de la Cour. - Elle relève que le critère de distinction mobilisé dans la discrimination alléguée n'est ni la nationalité ni le lieu de résidence des contribuables. Il correspond plus précisément au point de savoir si les contribuables ont, ou non, réalisé une opération d'échanges de titres relevant du champ d'application de la
Sur l'existence d'une différence de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues ou comparables, la Cour note que les requérants ne contestent ni le principe ni le taux de leur imposition. La différence de traitement en cause porte spécifiquement sur les modalités de calcul de l'assiette de l'impôt sur le revenu, les requérants se plaignant de n'avoir pas pu bénéficier de l'abattement prévu par l'article 150‑0 D du CGI lors de la taxation de leurs plus-values mobilières. Se référant à la jurisprudence du Conseil d'État, la Cour estime que la différence de traitement dénoncée par les requérants est établie, ce que les juridictions internes ont d'ailleurs admis.
Reste à déterminer si cette différence de traitement repose sur une justification objective et raisonnable. À propos de la marge d'appréciation conférée aux autorités internes, la Cour relève en premier lieu que la différence de traitement en cause, comme déjà indiqué, ne se fonde pas sur la nationalité des contribuables, mais sur certaines caractéristiques des transactions qu'ils ont effectuées. Elle constate en deuxième lieu que les gains imposés résultent de transactions librement effectuées, les contribuables ayant choisi de disposer de leurs titres en connaissance de cause. Elle observe en troisième lieu que la différence de traitement litigieuse relève de la matière fiscale, ce domaine faisant partie du noyau dur des prérogatives de la puissance publique. Au vu de l'ensemble de ces considérations, la Cour estime qu'il convient de reconnaître une large marge d'appréciation à l'État défendeur dans les circonstances de la cause.
Sur l'existence d'un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, elle relève, à l'instar du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, que l'ordre juridique interne comprend également des règles d'effet similaire. Les régimes de report d'imposition applicables aux plus-values d'échange de titres visent en effet à garantir une certaine neutralité fiscale à ces opérations en évitant que le contribuable soit contraint de céder ses titres pour acquitter l'impôt. Seul le degré de neutralité fiscale de l'opération d'échange de titre varie, celui-ci étant renforcé pour les situations relevant du champ d'application de la
Au vu de l'ensemble de ces considérations, la Cour considère que l'État défendeur, la France, n'a pas outrepassé l'ample marge d'appréciation dont il disposait en la matière. Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention.