[21.11.2023]
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence relative à la dignité de la personne, laquelle ne peut pas être érigée en fondement autonome des restrictions de la liberté d’expression.
En l’espèce, une association régionale d’art contemporain a organisé une exposition publique mettant en lumière les écrits d’un artiste consistant en une série de fausses lettres, lesquelles faisaient état de traitements particulièrement violents (esclavage, sodomie, mutilations, viol et assassinat) des parents à l’égard de leurs enfants. Une autre association a considéré, d’une part, que cette exposition, accessible à tous, constituait le délit de diffusion d’un message à caractère violent ou pornographique susceptible d’être vu par un mineur ( ) ; d’autre part, qu’elle portait atteinte à la dignité de la personne humaine (). Elle demandait ainsi la réparation du préjudice subi.
Si la plainte a été classée sans suite par le procureur de la République, la cour d’appel de Paris a rendu le 16 juin 2021 un arrêt sur renvoi après cassation et rejeté la demande indemnitaire (CA Paris, 16 juin 2021, n° 20/01355 : JurisData n° 2021-015889 ; Cass. 1re civ., 26 sept. 2018, n° 17-16.089 ; JurisData n° 2018-016665). En effet, les conseillers parisiens ont considéré que le principe invoqué de dignité de la personne humaine, fondé sur l’, n’avait pas de valeur juridique autonome. De ce fait, en l’absence d’atteinte à un droit concurrent à la liberté d’expression, le principe de dignité de la personne humaine ne pouvait être invoqué seul pour restreindre la liberté d’expression.
L’association s’est pourvue une nouvelle fois en cassation et posé la question suivante à la Haute Juridiction : la protection de la dignité humaine, consacrée à l’, peut-elle constituer un motif autonome et conventionnel limitant la liberté d'expression et celle de création artistique ?
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, par un arrêt du 17 novembre 2023, répond par la négative et rejette le pourvoi.
Après avoir rappelé les fondements conventionnels de la liberté d’expression (Conv. EDH, art. 10, §1; CEDH, 7 déc. 1976, n° 5493/72, Handyside c. Royaume-Uni, § 49), l’extension de cette liberté englobant la liberté d’expression artistique (CEDH, 11 mars 2014, n° 47318/07, Jelsevar c. Slovénie, § 33), qui protège ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d'art (CEDH, 3 mai 2007, n° 34797/02, Ulusoy e.a. c. Turquie, § 42), ainsi que les limites dont cette liberté peut faire l’objet (Conv. EDH, art. 10, §2), l’Assemblée a considéré que toute restriction à la liberté d’expression suppose, d’une part, qu’elle soit prévue par la loi et, d’autre part, qu’elle poursuive un but légitime.
Selon la Cour de Strasbourg, si l’essence de la Convention est le respect de la dignité et des libertés humaines (CEDH, 22 nov. 1995, n° 20166/92, S.W. c. Royaume-Uni, § 44), ce principe ne constitue pas un but légitime prévu à l’article 10, §2, de la Convention pour limiter la liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle la Haute Juridiction avait déjà affirmé que la dignité de la personne humaine, dont le fondement ne constitue pas une loi au sens de l’article 10 de la CEDH précité, ne saurait être érigée en fondement autonome des restrictions de la liberté d’expression (Cass. ass. plén., 25 oct. 2019, n° 17-86.605 : JurisData n° 2019-018487).
Ainsi, la Cour confirme la solution adoptée par l’arrêt d’appel, lequel a considéré que le principe du respect de la dignité humaine ne constitue pas à lui seul un fondement autonome de restriction à la liberté d'expression.