Prévention de la récidive du viol : comment mieux prendre en charge les auteurs pour éviter de nouvelles victimes ?
Créée en novembre 2024 à la suite du viol et du meurtre de la jeune Philippine, dont l'auteur présumé avait déjà été condamné pour viol, la mission conjointe de contrôle de la commission des lois et de la délégation aux droits des femmes du Sénat a évalué la pertinence des textes en vigueur et l'efficacité de l'action publique en matière de lutte contre la récidive du viol et des agressions sexuelles. Dans un rapport rendu public le 21 mai, elle formule 24 recommandations pour garantir la prise en compte des spécificités des auteurs d'infractions sexuelles et prévenir le risque de récidive.
Constats inquiétants. - La mission conjointe de contrôle dresse déjà le constat que la récidive des infractions sexuelles est un phénomène dont l'ampleur et les déterminants ne sont qu'imparfaitement connus. Dans un contexte de libération de la parole à la suite du mouvement #MeToo, le nombre de plaintes pour violences sexuelles a augmenté de près de 120 % entre 2016 et 2023, atteignant 114 100 plaintes en 2023, année au cours de laquelle 1 300 condamnations pour viol et 5 399 condamnations pour agression sexuelle ont été prononcées. Le nombre de condamnations pour infractions sexuelles, entre 2017 et 2022, n'a, pour sa part, augmenté que de 13 %. En dépit de l'ampleur des violences sexuelles, les taux officiels de récidive légale et de réitération pour ces infractions sont largement inférieurs à ceux des autres crimes et délits : la récidive s'établit ainsi à 5,7 % pour les viols (contre 7,2 % pour l'ensemble des crimes) et à 9 % pour les délits à caractère sexuel (contre 17,5 % pour l'ensemble des délits). Reste ces chiffres doivent être relativisés, car il manque de statistiques fiables permettant d'évaluer l'efficacité des dispositifs juridiques et médicaux, pourtant nombreux, qui visent à prévenir la récidive.
La mission a constaté, par ailleurs, une prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel (AICS) insuffisante, en dépit de nombreux dispositifs spécifiques. Les délais de jugement des AICS (avec un délai théorique d'écoulement du « stock » d'affaires criminelles de 16 mois) et les modalités de leur gestion avant l'audience peuvent être une source de retards dans la prise en charge médicale, psychologique et sociale de ceux-ci. D'autre part, la conduite des expertises des auteurs, pourtant obligatoires avant tout jugement au fond, se heurte à un manque criant d'experts psychiatres. Qu'en est-il en détention ? Si un travail de qualité est effectué dans certains établissements, la prise en charge est très disparate et non coordonnée entre établissements – et parfois même entre professionnels intervenant au sein d'un même établissement – et se heurte bien souvent à des pénuries de moyens humains. En outre, aucune évaluation de l'efficacité de cette spécialisation et des dispositifs associés n'a été menée à ce jour. Hors détention, la prise en charge pâtit d'un manque de moyens et de coordination. Le suivi socio-judiciaire est un dispositif central dans la prise en charge des AICS post-détention mais il ne concerne que 20 % d'entre eux, faute de moyens et d'une réelle coordination pluridisciplinaire entre acteurs. Quant au post-sentenciel, il s'apparente à un champ sous-investi : le recours aux mesures de sûreté (surveillance judiciaire, surveillance de sûreté, rétention de sûreté) reste aujourd'hui très limité. Tout au long de la peine et après celle-ci, des outils innovants, tels ceux de la justice restaurative, existent mais sont encore insuffisamment investis.
S'agissant spécifiquement des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel, la mission a relevé que leur prise en charge – théoriquement plus favorable en raison de la possibilité donnée aux magistrats compétents de mettre en place des mesures éducatives dès le début de la procédure judiciaire – présente de réelles difficultés à toutes les étapes : distension des délais, manques de visibilité des parcours de soins et des parcours judiciaires, ruptures de parcours, appréhensions et défaut de coordination des professionnels censés les prendre en charge…
Recommandations. - Face à ces différents constats, la mission formule 24 recommandations visant à prévenir la récidive en intervenant à toutes les étapes de la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Elle s'articule autour de quatre axes :
- Renforcer la prévention primaire et la prise en charge des mineurs auteurs :
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Renforcer les politiques de prévention primaire et d'information sur les violences sexuelles dès l'enfance, notamment sur les risques liés à l'exposition précoce à la pornographie, mettre en place de larges campagnes de communication, dépister et signaler les violences sexuelles ;
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Former les magistrats et tous les professionnels (protection judiciaire de la jeunesse, police, gendarmerie…) intervenant auprès des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel (MAICS) afin de mieux identifier les mineurs auteurs étant par ailleurs victimes ;
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Développer les programmes spécifiquement tournés vers les mineurs AICS dans les centres éducatifs fermés et renforcés ;
- Produire des statistiques fiables sur les AICS pour évaluer leur prise en charge :
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Produire des statistiques en matière de récidive des délinquants sexuels en permettant les analyses croisées en fonction des profils des auteurs et des mesures, obligations et traitements auxquels ils ont été soumis ;
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Évaluer systématiquement les prises en charge des auteurs d'infraction sexuelle en détention afin d'harmoniser la doctrine de lutte contre la récidive ;
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Établir des statistiques fiables en matière d'injonction de soins pour pouvoir, à moyen terme, lancer une évaluation approfondie des critères de leur prononcé par les juridictions, des motifs conduisant à écarter leur application et de leur efficacité concrète dans la lutte contre la récidive des AICS ;
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Produire des statistiques sur le nombre de personnes éligibles à la rétention de sûreté ;
- Prévenir la récidive par une prise en charge spécialisée des AICS :
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Mieux accompagner les personnes mises en cause au stade pré-sentenciel, sur la base du volontariat et selon des formes couvertes par le secret médical ;
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Affecter effectivement les AICS dans des établissements fléchés afin, notamment, de permettre la mise en œuvre de soins en groupes de parole ;
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Créer une véritable injonction de soins en détention pour les AICS ;
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Éviter les sorties sèches pour les personnes incarcérées qui ont accepté les soins en détention et s'engagent à les poursuivre à l'extérieur ;
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Pour les étrangers AICS condamnés à une interdiction du territoire français, informer le juge des libertés et de la détention de la dangerosité de la personne concernée afin qu'il puisse en tenir compte dans ses décisions en matière de rétention administrative ;
- Rationaliser les outils d'expertise
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Revoir les critères de l'automaticité du recours à une expertise psychiatrique du mis en cause en amont du jugement ;
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Envisager la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel (AICS) par des psychologues dès lors qu'ils ne sont pas atteints de pathologies relevant spécifiquement de la compétence des psychiatres afin de faire face au contexte de pénurie d'experts-psychiatres et à la saturation des services psychiatriques ;
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Créer une formation de psychologie légale au cours du cursus des psychologues afin de favoriser, dès que possible, le recours à des experts au sein de cette profession, notamment dans les ressorts où l'on trouve peu de psychiatres.